0 Shares 1705 Views

“Romances inciertos”, une pièce solaire au CENTQUATRE-PARIS

Fatma Alilate 12 avril 2022
1705 Vues
"Romances inciertos, un autre Orlando" © Nino Laisné

"Romances inciertos, un autre Orlando" © Nino Laisné

Romances inciertos, un autre Orlando est une création qui est à la fois concert et pièce chorégraphique. Par ses aspects intemporels et inattendus, cette pièce ancrée dans la culture espagnole apparaît déjà comme un classique. Elle est actuellement à l’affiche du Festival Séquence Danse Paris au CENTQUATRE-PARIS.

La pièce d’une grande qualité esthétique et sonore a demandé quatre années de recherches pour assembler différentes sources musicales et artistiques en particulier des XVIe et XVIIe siècles. Sur scène, François Chaignaud incarne des personnages inspirés de l’univers espagnol. Il est accompagné de quatre musiciens sur instruments anciens : bandonéon, violes de gambe, théorbe – guitare baroque et percussions.

"Romances inciertos, un autre Orlando" © Nino Laisné

“Romances inciertos, un autre Orlando” © Nino Laisné

Danses audacieuses sur des échasses

À l’image de l’Orlando de Virginia Woolf (1882-1941) qui traverse quatre siècles, Romances inciertos se structure en trois actes par la présentation de personnages pittoresques. Doncella guerrera, déguisée en soldat, s’en va à la guerre, le visage dissimulé sous un casque. Au second acte, l’archange San Miguel inspiré du poème de Frederico García Lorca (1898-1936) propose des danses audacieuses sur des échasses qui se poursuivent sur les pointes, dans une jota inédite. Au dernier acte, Tarara, gitane andalouse, amadoue le public par son tempérament extravagant. Avec ce personnage, François Chaignaud offre des facéties et des moments d’humour qui semblent improvisés.

Tout au long de la pièce, des langages musicaux et dansés de styles différents sont réunis dans une liberté créative. Romances inciertos a été conçue par François Chaignaud, chanteur, danseur-chorégraphe et Nino Laisné, plasticien protéiforme qui est à la direction et à la mise en scène. Les deux artistes passionnés par la culture hispanique ont mené un travail transversal à partir d’un ensemble de musiques espagnoles, de poèmes, de chants. Sur scène, François Chaignaud joue sur l’ambiguïté et les normes de représentations. Inventif et très doué, ses costumes nourrissent sa fantaisie et l’univers dans lequel évolue ses personnages à l’identité trouble. Le plaisir artistique d’être sur scène se ressent même si les compositions successives sont très physiques et exigeantes.

"Romances inciertos, un autre Orlando" © Nino Laisné

“Romances inciertos, un autre Orlando” © Nino Laisné

Expressions gestuelles et vocales étonnantes

François Chaignaud danse et chante en majesté, en écho aux ballets de Cour. Il tournoie entre beauté et perfection. Les transformations valorisent des expressions gestuelles et vocales étonnantes. Le corps devient des corps et se réinvente par le jeu, le maquillage, les costumes, et aussi le souffle, la musculature. La voix change également de registres selon les compostions. Quand le chanteur-danseur est hors champ pour la préparation d’un autre rôle, les musiciens prennent le relais dans de superbes interludes. Les partitions hypnotiques transportent et évoquent la mémoire musicale de l’Espagne. Les musiciens participent aussi à la dynamique du décor en élevant les panneaux-tapisseries. A l’acte II, ils portent San Miguel qui se meurt, et le déchaussent des échasses : à demi-allongé, les jambes se positionnent en équerre puis en ligne droite.

François Chaignaud a commencé la danse dès l’âge de six ans, il déploie sur scène une grande vitalité. Ses mouvements deviennent des figures presque graphiques. Les éléments de dramaturgie sont présents par l’intonation des mélodies et les attitudes des personnages. Mais Tarara amuse le public par ses excès. C’est une Diva qui apparaît sous les feux de la rampe – l’escalier du CENTQUATRE-PARIS – dans une longue robe à motifs bleutés, sur de très hauts talons. Le visage est une nouvelle fois transformé. Au son des castagnettes, elle pousse au plus loin le pouvoir de la séduction et se mêle au public, conquis ! Le regard langoureux, elle s’abandonne au flamenco pour tenter d’oublier un amour déçu. Après plusieurs voyages scéniques, François Chaignaud devient un jeune homme à la sensualité renouvelée, torse-nu sous des bretelles, il porte un pantalon moulant et affronte la scène tel un toréador.

"Romances inciertos, un autre Orlando" © Nino Laisné

“Romances inciertos, un autre Orlando” © Nino Laisné

Le danseur-chorégraphe est extraordinaire quand il danse avec les échasses. Le silence parmi le public est alors absolu. Il saute, sautille, tournoie sur lui-même dans une jupe jaune évasée. Il lève les jambes, joue des avant-bras jusqu’à ses délicates mains. Epoustouflant dans le chant, la danse, le jeu, il est entouré de grands musiciens dont les instruments s’écoutent autant qu’ils se contemplent.

Les multiples emprunts de cette création hybride constituent une pièce très dense, difficile à oublier.

Fatma Alilate

Articles liés

Concerto pour violon de J. Brahms à la Salle Gaveau
Agenda
116 vues

Concerto pour violon de J. Brahms à la Salle Gaveau

Pour les amoureux de concert classique, la Salle Gaveau nous promet de la haute qualité avec un nouveau concert en mais avec J. Brahms et l’orchestre de CRR de Paris.  Au programme :  J.BRAHMS Concerto pour violon en ré...

Récital de piano avec Barry Douglas à la Salle Gaveau
Agenda
107 vues

Récital de piano avec Barry Douglas à la Salle Gaveau

Médaille d’Or du Concours Tchaïkovski en 1986, Barry Douglas se produit en récital sur toutes les grandes scènes du monde – du Royaume-Uni au Mexique, des PaysBas aux États-Unis. Il est l’invité de prestigieux orchestres, parmi lesquels le BBC...

Un « Dom Juan » sulfureux et maudit à l’Odéon
Spectacle
220 vues

Un « Dom Juan » sulfureux et maudit à l’Odéon

Projetant la pièce de Molière au 18° siècle, sous la tutelle du Marquis de Sade, Macha Makeïeff fait de cet anti-héros un prédateur sulfureux et languissant, interprété avec brio par Xavier Gallais dans un décor unique. Une course à...